14 septembre 2017 Valérie

Conférences : Saison musicale 2017/2018

Conférence : « Les musiques de la nature au travers de la saison musicale»
Lors de cette première conférence, qui s’est ténue le 14 septembre 2017, André Pereygne, nous a exposé les moments exceptionnels de la programmation 2017-2018.

Le dimanche 17 septembre à l’Auditorium Rainier III aura lieu la représentation du magnifique 2nd concerto de Béla Bartók au sein duquel la vigueur, l’énergie et la virtuosité des 1er et 3ème mouvements contrastent avec le sentiment de nostalgie, de méditation et de mystère émanant du mouvement central. Sous la direction du chef d’Orchestre Kazuki Yamada le fabuleux pianiste Evgeny Kissin vous transportera grâce à son jeu brillant plein d’émotions. Puis il s’en ira jouer cette oeuvre prochainement aux USA.

Le thème de la nature sera illustré cette saison par des morceaux souvent inédits et rarement enregistrés sur disque et pour la plupart jamais représentés à Monaco.

Alors que les 17ème et 18ème siècles ont vu l’émergence d’œuvres plus abstraites, en particulier celles de Mozart et de Haydn, ce sont, cette année, des musiciens du 19ème siècle qui sont à l’honneur.Les compositeurs du 19ème siècle ont côtoyé les écrivains et les peintres de leur temps et cela a certainement développé en eux ce souffle créateur les amenant à la description de paysages et d’atmosphères bucoliques et champêtres.

L’œuvre la plus emblématique et certes la plus connue est dans le cœur du public la  »Symphonie Pastorale » de Ludvig van Beethoven qui vous sera proposée en février 2018. Pourtant habitué à fréquenter les salons aristocratiques viennois, son attirance pour la nature est lié à son handicap progressif et terrible pour un musicien. En effet sa surdité va le pousser à s’isoler des relations mondaines et à parcourir les forêts autrichiennes où son inspiration et sa créativité vont suivre des chemins inexplorées. Fruit de ses promenades, une grande symphonie colorée et évocatrice va naître.

Le 19ème siècle a permis à des trésors musicaux liés au thème de la nature de voir le jour, tels que  »Les années de pèlerinage » de Franz Liszt, conséquence heureuse de ses voyages en Suisse et en Italie, ainsi que  »La Symphonie Rhénane » de Robert Schumann.

Cette année, vous sera proposée une œuvre de Richard Strauss,  »La Symphonie alpestre » ( le 9 mars 2018), poème symphonique, réaliste et décrivant musicalement de façon puissante l’ascension d’une montagne une journée durant depuis l’aurore jusqu’au crépuscule. L’évocation du parcours montagnard de forêts entourées de cascades, de pâturages, de glaciers y est forte et imagée. Certains critiques ont pu percevoir, de façon subjective et personnelle, une description musicale quasi philosophique de la montagne.

Si la  »Symphonie du Nouveau Monde », donc de l’Amérique, est un des morceaux les plus connus du plus grand compositeur tchèque Antonin Dvořák, il serait injuste de ne pas vous faire découvrir ce petit chef-d’œuvre intitulé ‘’Dans le Royaume de la nature », opus 91, où cette fois-ci ce sont les ambiances de la nature de la Tchécoslovaquie.

Parmi les œuvres inédites rarement jouées vous découvrirez  »La petite Renarde rusée » de Leoš Janáček, conte enfantin romantique traduisant l’idée du cycle de la nature dans une ambiance d’Europe Centrale. Cette œuvre sera dirigée par le grand chef d’orchestre Lawrence Foster.

Le 1er octobre prochain la Grande Russie du 19ème siècle vous accueillera avec  »La forêt », une fantaisie pour grand orchestre symphonique d’Alexandre Glazounov, prodige russe, héritier de M. Balakirev et ancien directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg.

Egalement au programme  »Le lac enchanté » d’Anatoli Liadov, composée en 1909, s’inspirant de sujets fantastiques que l’on retrouve dans les contes traditionnels russes.

Enfin accompagnant cette suite symphonique et présenté le même soir : ‘’Les Vents de Sibérie » de Boris Tchaïkovsky, n’ayant aucun lien de parenté avec son génial compatriote Piotr Ilitch. Cette suite symphonique est récente, puisque composée en 1984. On trouve ici une musique claire et expressive qui vous touchera.

Au cours de la soirée du 1er octobre c’est une œuvre de jeunesse de l’immense compositeur et pianiste virtuose russe Sergueï Rachmaninov qui vous sera présentée :  »Le Rocher’‘, symphonie moins connue que ‘’l’Île des morts » et que les  »Danses symphoniques », mais néanmoins belle à découvrir.

Sera également au programme de cette saison la  »Messe glagolitique » (ce dernier terme correspondant au plus ancien alphabet russe) de Leoš Janáček, œuvre de 1926. L’originalité de celle-ci tient au fait qu’une véritable communion s’installe entre la religion et la nature dans cette messe grandie par un vaste orchestre, un orgue et des choeurs. La nature est ici en quelque sorte édifiée.

Le 27 octobre prochain l’œuvre symphonique  »In the Highlands » datant de 1844 et créée par le compositeur danois Niels Wilhelm Gade, plus connu et plus représenté sous les hautes latitudes, tentera de vous séduire en décrivant musicalement l’atmosphère envoûtante des landes d’Écosse.

Toujours dans les pays nordiques, mais cette fois-ci en Norvège, la pièce lyrique  »Le soir dans les montagnes » d’Edgar Grieg vous transportera dans une ambiance vespérale de haute-montagne. Même si son extraordinaire concerto en la mineur et la musique de scène  »Peer Gynt » sont parmi les plus célèbres de ce compositeur, cette pièce lyrique mérite votre écoute attentive, elle ne pourra vous apporter que songes et rêveries.

Plus tard dans la saison, le 21 janvier 2018, la pièce musicale  » La petite sirène » du compositeur autrichien post-romantique expressionniste Alexander von Zemlinsky qui vous sera présentée, a en fait été composée suite à un chagrin d’amour.  C’est suite à une déconvenue amoureuse avec une femme, qui préférera épouser Gustav Malher, qu’Alexander von Zemlisky trouva l’inspiration créatrice pour mettre au jour cette agréable pièce musicale. Son destin sera bien sombre puisqu’il fuira l’Allemagne nazie pour mourir en 1942 dans l’anonymat.

Et donc c’est bien de Gustav Malher dont il sera question le 9 mars 2018, grâce au morceau ‘’Blumine »,  »Le bouquet de fleurs », composé lors de ses périodes d’isolement dans son cabanon dans les alpages. Cette pièce qui sera dirigée par le grand chef d’orchestre Kazuki Yamada, devait constituer à l’origine le premier mouvement de sa première symphonie  »Le Titan ». Ayant été peu apprécié par les critiques de l’époque, ce n’est qu’au 20ème siècle qu’un musicologue l’a retrouvé et édité. Ainsi nous pourrons l’apprécier en partie grâce à ce dernier.

Si de nombreux compositeurs du 19ème siècle ont su retranscrire l’ambiance et atmosphère d’une nature qui leur était chère, le plus souvent de façon grandiose, démonstrative et parfois cataclysmique (scène de  »l’Orage » de la  »Symphonie alpestre » de Richard Strauss), il en va tout autrement des œuvres dites impressionnistes de Claude Debussy et de Maurice Ravel.

Deux œuvres majeures de ces deux compositeurs seront au programme :  » La Mer » de Claude Debussy et  »Daphnis et Chloé » et Maurice Ravel.

Tous deux ont considéré que les musiciens du 19ème siècle, et notamment Ludvig Van Beethoven, n’avaient pas décrit la nature et ses beautés de façon fidèle. En écoutant les œuvres de ces deux  »Impressionnistes’ de la musique on ne peut être qu’envouté par la magie qui s’opère. Tout est fluidité, transparence, subtilité, fragilité, miroitements. Et c’est souvent paradoxal lorsque l’on pense aux cent musiciens et à l’imposant choeur qui interprétent l’œuvre toute en nuances de Maurice Ravel présentée dans le cadre de ce programme.

Pour conclure, mes chers amis passionnés de musique, vous ne pourrez que tomber sous le charme de ce programme 2017-2018, ayant pour filigrane la nature et ses mystères.

Conférence :« Des musiques à histoires »

 

A. V. Zemlinsky / Alma Schindler / G. Mahler

Lors de cette conférence, qui s’est ténue le 18 janvier 2018, André Pereygne, nous a présenté les deux œuvres de « musique descriptive » qui sont au programme dans la saison et qui sont peu connues du grand public : La Petite Sirène de Zemlinsky, qui était donnée le dimanche 21 janvier et La Symphonie Alpestre de Strauss, qui sera donnée le 9 mars.

Dimanche dernier nous avons eu l’honneur d’écouter en seconde partie du programme La Petite Sirène, l’œuvre composée par Alexander Von Zemlinsky en 1905 et inspirée du conte d’Andersen.

Cette composition reflète un drame amoureux que le compositeur a lui-même vécu, en tant que professeur, avec une de ses élèves nommée Alma. Le drame d’Alexander Zemlinsky fut de voir la belle et brillante Alma Schindler, qu’il aimait follement, épouser en 1902 le compositeur et chef d’orchestre Gustav Mahler.

Tout commença au début de l’année 1900. Alma fit la connaissance de Zemlinsky au moment où son opéra Il était une fois, tiré d’un conte d’Andersen, était à l’affiche de l’opéra de la cour de Vienne. Attirée par le compositeur, dont elle trouvait pourtant le visage d’une laideur « comique », « petit, sans menton, les yeux saillants », Alma lui demanda de devenir son élève. Une relation passionnée et réciproque se développa entre eux, jusqu’à ce qu’Alma rencontre Mahler en novembre 1901. La nouvelle des fiançailles de la jeune femme avec lui, annoncée dans la presse dès le 22 décembre, fut un véritable choc pour Zemlinsky.

C’est dans La Petite Sirène, dit-on, que Zemlinsky chercha à exorciser son chagrin, en s’identifiant à la Sirène repoussée par le Prince. C’est sous le signe d’Andersen que Zemlinsky avait rencontré Alma, c’est sous celui d’Andersen qu’il faisait le deuil de leur relation. La Petite Sirène était sur le métier en janvier 1902 : « Je travaille sur un poème symphonique… j’éprouve beaucoup de plaisir…, j’ai déjà presque tous les thèmes ». L’œuvre suit la narration d’Andersen : évocation du royaume du Roi de la mer, tempête et chute du Prince dans l’eau au cours d’une traversée, sauvetage du Prince par la Petite Sirène, transformation de la Sirène en femme par la Sorcière, absence d’amour du Prince qui se marie avec une autre, mort de la Sirène. D’une écriture post-romantique proche de Richard Strauss, la partition fonctionne sur le principe des motifs, exactement comme le poème symphonique Pelleas et Mélisande de Schoenberg créé au cours du même concert.

La Petite Sirène eut un destin curieux. Zemlinsky rangea la partition après la création et la troisième partie de l’œuvre, perdue, ne fut retrouvée qu’en 1981. La figure d’Alma continua de hanter Zemlinsky des années durant, notamment sous les traits de la Princesse de son opéra Le Rêveur, en 1906 et, encore, sous ceux de la cruelle Princesse du Nain en 1922.

La déception sentimentale de Zemlinsky ne fut pas sa seule déconvenue. A l’époque de la création de la Petite Sirène, il était un musicien en vue. Son Trio opus 3 avait été primé dans un concours présidé par Brahms neuf ans plus tôt. Il avait publié des lieder intenses et raffinés. Il était le premier chef d’orchestre de la Volksoper de Vienne. Il semblait, enfin, avoir devant lui une brillante carrière scénique avec déjà deux opéras représentés. Le destin musical de Zemlinsky, pourtant, tourna. A l’âge du dodécaphonisme, sa musique sembla d’un post-romantisme anachronique et elle resta longtemps mésestimée malgré les efforts que fit Arnold Schoenberg pour qu’elle soit jouée. Aujourd’hui, Zemlinsky est largement reconnu. Ses lieder, sa Symphonie lyrique, ses opéras Le Nain et La Tragédie florentine comptent parmi les partitions majeures de la première moitié du XXe siècle.

C’est Simone Young, chef d’orchestre australienne, qui a dirigé cette œuvre en rendant toute son expression et la richesse de son atmosphère.

Pour l’anecdote historique, A. Von Zemlinsky fait partie de ces intellectuels juifs allemands qui ont fui le nazisme, tel Thomas Mann, et qui se sont installés en France dans le Var avant d’être chassés par les français, puis qui ont émigré vers les Etats-Unis via le Portugal.

Dans la lignée des poèmes symphoniques célèbres, tels que  »La Moldau » de B. Smetana,  »Une nuit sur le Mont Chauve » de M. Moussorgsky,  »Mazeppa » de F. Liszt, nous aurons également le plaisir de vous proposer  »La symphonie Alpestre » de Richard Strauss constitué de 22 mouvements ininterrompus.

Cette composition, puissante, lumineuse et pleine d’exaltation, possède indéniablement une dimension philosophique inspirée par les lectures de F. Nietzsche. Elle décrit les sentiments religieux de l’artiste vis à vis de la nature en figurant l’ascension d’une montagne de l’Homme vers Dieu. Richard Strauss ayant été lui-même un grand montagnard dans les massifs alpins de Bavière.

Ces 22 mouvements, ayant chacun une atmosphère particulière, s’échelonnent depuis l’aurore jusqu’au crépuscule et mettent en scène les étapes progressives depuis les bas alpages jusqu’au sommet avec un déchaînement final et apocalyptique ayant la couleur de l’orage, amplifié par la présence d’un orgue et d’une surprenante machine à vent.

L’œuvre personnelle, démonstration de ses aptitudes à traiter la grande forme, mais aussi expérimentation de nouvelles combinaisons sonores pour l’orchestre “classique” (certes adapté dans un cadre colossal), Une Symphonie Alpestre apporte au moment où l’Europe de 1915 connaît la guerre et l’émergence brutale des modernismes, une illustration éblouissante de l’écriture symphonique portée à ses extrêmes expressifs. Strauss ne retrouvera guère un tel orchestre qu’avec La Femme sans ombre dont la gravité des couleurs, et l’expression du gouffre tragique sombrent dans la noirceur à hauteur d’homme (quant Une Symphonie alpestre exalte l’élévation et la céleste et transcendante vision depuis les cimes), après le choc de la première guerre mondiale.

Le rôle du chef d’orchestre est ici, comme toujours, majeur quant à la restitution et à la création de ces atmosphères magiques où les musiciens de l’orchestre donnent le meilleur d’eux-mêmes dans une grande complicité.

Cette œuvre n’est pas sans rappeler le ballet  »Daphnis et Chloé » de Maurice Ravel et  »La Mer » de Claude Debussy, et Richard Strauss réussit à créer une atmosphère magnifiquement orchestré. Malgré cela les deux œuvres de ces compositeurs français impressionnistes atteignent des sommets inégalés en matière de subtilité et de transparence.